L’Approche Neurocognitive et Comportementale (ANC)

OK pour un petit instant sérieux… ?
Juste avant de nous lâcher (plus utilement) dans les activités concrètes, incarnées (via beaucoup de développement personnel) et souvent ludiques/créatives de mes Masterclasses ?

Des TCC aux neurosciences

Depuis de nombreuses années maintenant, les Thérapies Cognitives et Comportementales (TCC) proposent divers protocoles psychothérapeutiques qui ont été cautionnés par de multiples recherches scientifiques. Les TCC ont écrit un nouveau chapitre dans l’histoire des psychothérapies, en montrant notamment, que le stress naît davantage d’un raisonnement irrationnel ou d’un comportement inadapté, pas forcément  perçus comme tel par l’individu, que de sa frustration ou d’un réel danger.

Les TCC ont suivi les progrès et les connaissances nouvelles de la psychologie et ont par conséquent connu une évolution importante depuis leur apparition dans les années 1920. La première vague, jusqu’en 1950, s’est inscrite dans le champ d’une psychologie et d’une psychothérapie purement comportementales, considérant comme irréductiblement subjective « l’intériorité », au sens psychanalytique du terme, donc inaccessible à l’étude scientifique. De 1950 à 1990, grâce à l’avènement de la cybernétique et de l’informatique, la deuxième vague en réintègre l’étude, mais au sens cognitif du terme, la concevant comme un système de traitement de l’information. La psychologie et la psychothérapie deviennent cognitives tout en conservant l’impératif comportemental, les troubles psychiques étant dorénavant représentés et étudiés comme la résultante de schémas cognitifs dysfonctionnels. Enfin, dès 1990, la troisième vague, incluant notamment la Mindfulness (Thérapie et Méditation basées sur la Pleine Conscience) et l’Acceptance and Commitment Therapy (ACT – Thérapie d’Acceptation et d’Engagement), se centre sur l’attitude plutôt que sur la résolution du problème. Elle confirme la pertinence de l’« ici et maintenant » comme angle d’approche préférentiel pour la compréhension de la pathologie et surtout la construction de thérapies plus efficientes (efficaces et brèves).

Les TCC se centrent donc sur les comportements, cognitions et affects et soulèvent par ailleurs la nécessité de mieux comprendre comment notre cerveau fonctionne, mémorise, transforme, superpose, relie, retranscrit… mais aussi dysfonctionne, notamment lorsqu’il manque d’adaptabilité (flexibilité), ce qui semble au cœur du processus de stress. Les sciences de la biologie et les neurosciences commencent à mieux répondre à ces questions et ce qu’elles suggèrent va dans le sens d’une synergie fonctionnelle complexe mais étroite entre le structurel (génétique/épigénétique, métabolique, neuronal, physiopathologique…) et le fonctionnel (psycho-comportemental, émotionnel, psychosocial…).

La rencontre de ces différentes disciplines offre ainsi de larges perspectives à la psychologie et aux neurosciences, ouvrant la voie aux thérapies neuro-cognitivo-comportementales…

L’ANC

Ses sources

L’Approche Neurocognitive et Comportementale (ANC) et la Thérapie neurocognitive et Comportementale (TNC) initiées par le Laboratoire de Psychologie & Neurosciences (LPN) de l’IME se positionne pleinement dans la lignée des TCC et revisite les :

  1. Première vague, en tant que thérapie comportementale de l’évitement ou des troubles de l’assertivité,
  2. Deuxième vague, en tant qu’Approche Neurocognitive des modes de pensée irrationnels et dysfonctionnels,
  3. Troisième vague, en tant que thérapie des attitudes plus que de la résolution de problèmes,
  4. Initiatrice d’une quatrième vague neuro-cognitivo-Comportementale issue des neurosciences ainsi que de multiples autres disciplines fondamentales et appliquées des comportements pour approfondir, objectiver, intégrer et optimiser la démarche.

Elle justifie sa référence « Neuro » par la recherche systématique des substrats anatomiques et biologiques qui sous-tendent sa démarche clinique. Dès les années 80, l’ANC naissante s’inscrit dans le cadre plus large de la démarche médicale et de la psychophysiologie expérimentale, qui cherchent à relier symptomatologie clinique et substrats biologiques. Puis, elle s’enrichit des découvertes successives issues des nouvelles technologies, notamment de l’imagerie cérébrale.

Malgré la difficulté de la démarche, l’ANC appuie, depuis ses origines, sa réflexion et la mise au point de ses méthodes d’intervention thérapeutique sur une interdisciplinarité élargie. Autour des travaux de l’éthologie (Tinberger) et du néodarwinisme génétique, elle envisage aussi la signification des comportements humains individuels et collectifs dans la perspective de leur plus-value adaptative en termes d’évolution des espèces. Certains comportements peuvent en effet paraître plus lisibles et compréhensibles en termes darwiniens, puisqu’orientés vers un but par les nécessités de l’adaptation au milieu (le pourquoi), qu’au regard des seules données neurofonctionnelles, qui traduisent l’extrême complexité sinon l’enchevêtrement des réponses issues du « bricolage de l’évolution » (le comment).

Elle s’appuie aussi sur la psychiatrie : les symptomatologies psychopathologiques ayant un caractère homogène, stable et universel, suggèrent un fort déterminisme génétique. Parmi de tels tableaux cliniques, citons la phobie simple et observons corollairement sa réceptivité massive au traitement comportemental, qui découle d’une bonne compréhension de sa physiopathologie.

D’autres champs disciplinaires viennent nourrir le modèle ANC : ainsi, la production artificielle de symptomatologies psycho-comportementales analogues à celles de troubles ou pathologies naturels. Elles sont ordinairement le fait d’expérimentations animales (via des destructions tissulaires ou stimulations), de lésions post traumatiques, vasculaires ou chirurgicales, de l’action d’agents pathogènes bien identifiés (toxiques, microbiologiques, physiques) ou de l’impact de certaines substances psycho-actives comme des médicaments antipsychotiques ou antidépresseurs, des stupéfiants, etc.

De même, le relatif continuum entre comportements individuels ou sociaux observés de façon comparable chez l’homme et d’autres mammifères supérieurs, y compris en contexte sauvage (éthologique) peut éclairer quelque peu leurs nature et fonction premières. 

Le travail collaboratif neurosciences-neurologie-psychologie-psychiatrie-éthologie… permet donc une mise en relief (en x dimensions) des interactions entre structures cérébrales et comportements. Du structurel vers le fonctionnel, le syndrome préfrontal déficitaire, issu de lésions massives de ce cortex, peut suggérer, en contrepoint, des « dimensions neurocognitives préfrontales » positives, identifiables (?) à un mode fonctionnel « adaptatif » chez le sujet normal. Dans l’autre sens, du fonctionnel au structurel, le comportement humain dit antisocial, sans doute largement superposable au comportement de dominance décrit chez l’animal par les éthologistes, laisse entrevoir l’implication de structures cérébrales phylogénétiquement anciennes (sous-corticales) comme l’amygdale.

Plus largement, la démarche ANC/TNC s’inscrit dans une boucle :

  1. allant des découvertes et méthodologies des disciplines fondamentales, pourvoyeuses d’hypothèses et de leviers d’action innovants,
  2. mises à l’épreuve de l’évaluation clinique en médecine et psychologie contemporaines,
  3. dans la perspective d’évaluer, en retour, les mécanismes d’action réels (comparativement aux hypothèses) par l’imagerie cérébrale ou autres approches.

C’est donc naturellement qu’elle fait le pont entre les psychothérapies issues d’approches cliniques voire traditionnelles comme la Mindfulness (même si elles sont l’objet d’évaluations a posteriori de leur mode d’action par l’imagerie cérébrale…) et la recherche fondamentale en médecine ou en psychologie contemporaines, de plus en plus transdisciplinaires et en quête de compréhension des causalités premières, à même de faire émerger des traitements plus ciblés, performants… mais aussi préventifs, transférables à l’éducation, la pédagogie ou au management.

Du Contenu psychologique au Contenant neuropsychologique

Les recherches et expériences cliniques de l’IME et du LPN, réalisées depuis de nombreuses années, ont abouti à la conceptualisation de quelques notions propres à cette approche.

Ainsi, on y définit notamment un Contenant en tant qu’ensemble homogène de comportements, modes de traitement de l’information (filtres) et vécus (émotionnels et cognitifs), produit par l’activation d’un substrat neurofonctionnel précis. Plus celui-ci implique des réseaux neuronaux et territoires anciens d’un point de vue phylogénétique, plus les comportements qu’il induit sont stéréotypés, prévisibles, rigides (i.e. peu ajustables à l’environnement). Il existe bien entendu des interactions entre les Contenants décrits et les apprentissages qu’ils sous-tendent, ce qui limite parfois l’identification simple du ou des Contenant(s) impliqué(s) et donc la prévisibilité du comportement.

Un Contenant serait la part de symptomatologie cognitive et comportementale, porteuse de l’expression directe du fonctionnement du système nerveux, formatant en quelque sorte la perception (et ses biais). Les Contenants décrits en ANC trouvent leurs racines premières dans les classifications nosographiques de la psychiatrie et la psychologie. Ces diagnostics peuvent être considérés, pour la plupart, comme des modes réactionnels[1]  largement figés et indépendants de la personne, de son  histoire, de sa culture. En tant que tels, ils définissent, la plupart du temps, un mode réactionnel structurel, ou Contenant, de l’organisme et du système nerveux à un ensemble de circonstances données. Ils constituent alors et dans cette proportion, en toute logique, l’expression clinique directe d’un substrat organique et fonctionnel, issue de gènes communs à l’espèce ou à certaines catégories d’individus. Ainsi, que l’on parle d’émotions ou de pathologies, chacune constitue un mode réactionnel ou Contenant particulier, en ce sens qu’elle est supportée par des substrats neurobiologiques précis. Cette nature structurelle est d’autant plus évidente que la stabilité, la reproductibilité et l’universalité du tableau clinique sont avérées.

Mais pourquoi alors parler de Contenant et pas seulement de diagnostic ? En fait, ce dernier terme est trop général : on peut diagnostiquer une fracture, ce qui n’est pas un mode réactionnel mais un état de la matière. On peut aussi diagnostiquer un comportement de type culturel, qui n’est pas stable ni universel. Le terme de Contenant a donc ici une acception plus spécifique, synonyme de mode neurofonctionnel ou neuropsychologique. Il doit être le plus homogène possible, ce qui écarte les syndromes (i.e. dont la symptomatologie est à géométrie variable, où les déterminants génétiques sont vraisemblablement polymorphes et/ou se mêlent à l’environnemental, au culturel.

D’où la quête d’entités diagnostiques « plus compactes », les Contenants, comme l’un des préalables de la démarche ANC.

Ces derniers constituent le socle, le support sur lequel s’écrivent les Contenus, entendu comme  tout ou partie des schémas cognitifs et des représentations d’objets et de situations propres à l’individu. Les Contenus incluent les dimensions cognitives, émotionnelles et comportementales, individuelles et culturelles des apprentissages. Mais ils sont profondément formatés par les (multiples) Contenants qui les sous-tendent.

Ainsi, par exemple, le Contenant « colère » génère des comportements (agressivité défensive, fixité du regard, crispation des mâchoires, etc.) et un vécu qui lui sont propres (susceptibilité, culot, sentiment de supériorité passager, etc.), qui semblent supportés par des entités cérébrales et neurologiques précises. La colère est d’ailleurs un Contenant universel (cf. Ekman, 1992 ; Ekman et al., 1991 ; Mehu et al., 2012[2]). Il peut être en revanche être « activé » par des stimulations forts différentes en fonction des individus, sa réactivité à ces paramètres étant dépendante de son histoire, sa culture, etc.

Le concept de Contenant peut être rapproché de divers modèles ou théories (Théorie de la genèse de la pensée de Bion, Théorie des Modèles Mentaux de Johnson-Laird, Théorie des Constructions Personnelles de Kelly,  schémas de Beck, etc.). Il s’en distingue, entre autres, par le fait qu’il cherche à isoler la composante génétique (et/ou épigénétique), à l’exclusion de tout formatage méta-psychologique ou méta-culturel…

Or, de par leur nature structurelle, les Contenants définis en ANC ne peuvent qu’être gérés, i.e. activés ou inhibés. Chercher à les modifier ou plus encore « guérir » semble vain et sans doute à l’origine de nombreux échecs thérapeutiques dans les approches n’identifiant pas cette distinction. La ANC prétend ainsi éviter au thérapeute comme au patient de perdre du temps et de l’énergie à vouloir modifier des Contenants dont les mécanismes sont profondément ancrés dans les gènes et structures cérébrales (i.e. de se décourager et complexer de ne pas y parvenir). Sa prise en charge thérapeutique se construit au contraire sur :

  • ce qui peut être géré (le Contenant), à l’intérieur de la « bande passante permise par le système » et selon des leviers d’actions clairement identifiés comme actifs sur eux,
  • et ce qui peut être modifié, transformé voire « guéri », le Contenu.

Ces notions de Contenant et Contenu sont pédagogiquement faciles à (faire) comprendre (aux patients) car on peut aisément les imager (la bouteille et le liquide). Le thérapeute peut encore comparer les Contenus aux softs et datas informatiques (= le niveau des cognitions et schémas cognitifs en TCC de Beck…) et les Contenants au hard cérébral (= les processus en TCC de Beck…).

À l’inverse, le Contenu est plus mouvant, individuel et malléable. Il peut donc être renégocié voire reconstruit. Là encore, quelques illustrations pédagogiques permettent de bien définir la frontière entre les deux : un appareil photo peut réaliser toutes sortes de photos (infinie diversité des Contenus possibles, comme un ensemble d’objets mathématiques : les photos)… mais il ne peut pas laver la vaisselle (changement de Contenant… ou de fonction mathématique : f(x)) !


[1] Nous définissons ici un mode réactionnel comme un mode de fonctionnement plus ou moins apparent, mis en œuvre et déclenché par des structures de l’organisme
(structures neuronale, immunitaire, métabolique, etc.) et en réponse à une catégorie de situations donnée.

[2] Mehu, M., Mortillaro, M., Bänziger, T. & Scherer, K. R. (2012). Reliable Facial Muscle Activation Enhances Recognizability and Credibility of Emotional Expression. Emotion, Vol. 12, No. 4, 701–715.

[3] Ekman, P., O’Sullivan, M., Friesen, W.V. & Scherer, K.R. (1991). Face, voice and body in detecting deception. Journal of Non verbal Behavior, 15, 125-135.

[4] Ekman, P. (1992). Facial expression and emotion. American Psychologist, Vol. 48, N°4, 376-379.